Voyage dans le monde du gamelan
Géographie du gamelan

Le problème de l'Inde

The India problem

  1. Décalage culturel
  2. Quelques phénomènes
  3. Trois hypothèses
  4. N'oublions pas les navigateurs
  5. Une certaine saveur

Quelques phénomènes

L'histoire culturelle de l'Inde a connu une situation catastrophique. Le pays et sa culture ont beaucoup souffert à partir de l'époque des sultanats. Le voisinage occidental de l'Inde prédestinait ce pays aux diverses invasions agressives et colonisations obscurantistes qu'il a connu. Rongée par les désertifications géographique et culturelle, l'Inde assurait de moins en moins la continuité et la cohérence de ses arts. De moins en moins sûr, de moins en moins fertile, le terrain culturel ne pouvait plus nourrir une esthétique toujours de bon goût.

Le sud-est asiatique était au contraire un terrain propice à la perpétuation de la culture indienne et parfois même au progrès des arts. À force d'événements tragiques dans la péninsule indienne, le sud-est asiatique devenait terre de refuge de nombreux éléments culturels indiens ; Éléments culturels qui sont encore entretenus de nos jours dans cette région.

1. Indianité non limitée à l'Inde

Une pièce d'art, un récit, une danse d'aspect indien, peut-être ayant une fonction rituelle hindoue, ne provient pas forcément de l'Inde. Mais cela indique que l'objet ou la séquence possède une certaine saveur, forme, esthétique, fonction rituelle. L'objet ou la séquence peut venir indifféremment de l'Inde, d'Angkor, du Campa, de Java ou de Bali.

2. Pas de rupture entre indien et local

Une tradition, un style artistique, une transmission littéraire provenant d'Inde et installé dans une contrée d'Asie du Sud-Est appartient bel et bien au terrain d'accueil. Il a pris racine localement et a stimulé la création de nouvelles pièces ou séquences d'art locales. Le caractère indien imprègne toujours ces créations ultérieures, même s'il connaît parfois des combinaisons nouvelles absente en Inde. Il y a continuité entre l'Inde et cette terre récéptrice.

Les idées et techniques venues d'Inde n'étaient pas en contradiction avec celles d'origine locale. Elles se sont entremelées, combinées, mutuellement influencées. Elle ont fusionné et on ne peut les distinguer aujourd'hui.

3. Sans heurts

La transmission citée en 2 ne résulte pas de conquêtes, d'invasions ou de colonisations. Elle n'a pas provoqué de heurt.

4. Inde défigurée

Tandis que l'Inde a donné un précieux héritage à l'Asie du Sud-Est, le pays a été de son côté défiguré par l'expansion de la culture moyen-orientale. L'Inde a subit, lors de ce bouleversement, la grande discontinuité de son histoire. Cette discontinuité fondamentale a été dévastatrice.

5. Cessation des contacts

C'est peut-être le phénomène 4 qui a provoqué l'indianisation de l'Asie du Sud-Est. Mais la prolongation de ce phénomène, ses prolongations, et son aggravation, a coupé pour de bon le courant qui existait entre l'Inde et l'Asie du Sud-Est. Les influences qui vont maintenant d'Inde vers l'Asie du Sud-Est sont désormais insignifiantes mais surtout d'une toute autre nature : moyen-orientales. En fait, en regardant depuis le sud-est asiatique, ce qui était l'Inde a pris l'apparence d'une simple contrée du complexe moyen-oriental.

6. Compensation

Les éléments indiens qui étaient arrivés en Asie du Sud-Est se sont transformés avec le temps et les influences locales. L'Inde, déjà éloignée physiquement, prend ses distances par rapport aux cultures locales (le phénomène 5). Des traditions, des styles artistiques, des récits, des rituels d'origine indienne ont pris des formes bizarres, parfois dégradées, en Asie du Sud-Est.

Mais une dégradation en Inde même a eu lieu, et elle a été bien plus sérieuse qu'en Asie du Sud-Est. Il a surtout été question d'anéantissement et de régression.

Ainsi, la perte en conformité, en esthétique ou en exactitude des éléments indiens en Asie du Sud-Est est compensée par leur mérite d'exister encore, par leur appartenance à un contexte toujours vivant. Ils gardent leur authenticité et même parfois leur sens originel alors qu'ils ont peut-être disparu en Inde, leur pays d'origine.

7. La grande rupture dans les îles de la Sonde

Les cultures moyen-orientale et européenne sont arrivées relativement récemment et subitement en Insulinde (péninsule malaise, sud des Philippines, îles de la Sonde). L'Asie du Sud-Est continentale, quant à elle, n'a reçu que l'influence européenne sauf le Campa qui donnait son dernier souffle avant la sinisation complète de l'Annam.

Ces intrusions, leur humeur, leur visage, ont entraîné une discontinuité fondamentale avec le milieu local. Cela est frappant sur les plans musical et confessionnel entre autres.

Tout cela nous rappelle les événements cités en 4 et en 5, comme si l'Inde n'était pas leur dernière conquête. L'Insulinde a été rattrapée, mais bien après, plusieurs siècles après, la violence étant devenue ici simple contraste flagrant de cultures.

8. Gamelan

Le gamelan est né de et appartient à la culture locale javano-balinaise indianisée. Les cultures moyen-orientale, européenne et chinoise (phénomène 7) lui sont étrangères et postérieures.

9. Bouleversements bis

Parfois, l'histoire semble étrangement se répéter. Ce qui s'est produit entre l'Inde et l'Asie du Sud-Est paraît s'être répété entre Java et Bali, mais sur une plus petite échelle et de manière moins violente.

Quand la culture indo-javanaise commençait à se défaire et que des idées d'origine moyen-orientale commençaient à prendre le pas, des princes, des prêtres et des artisants ont fuit sur l'île voisine de Bali, emportant leurs dieux, préservant leurs castes, sauvant leurs arts. Mais Java n'a pas pour autant été détruite comme l'Inde auparavant. L'île est restée relativement fidèle à elle-même. Mais Bali est manifestement devenu une sorte de refuge jusqu'aujourd'hui de traditions qui remontent pour certaines à l'Inde ancienne. On y trouve une indianité concentrée, distillée, sans influence moyen-orientale, dans laquelle on reconnaît l'air d'un Java provincial. Le tout est charmant, exceptionnel même, mais son isolement était trop beau pour durer : la culture européenne allait rattraper l'île au travers des Néerlandais. Bali n'a jamais connu de discontinuité jusqu'aux puputan, événements récents par rapport à l'Inde ou Java.

10. Survivance

Malgré les ruptures 4 et 7, les cultures indianisées ne sont pas mortes. Elles ne sont pas qu'une mémoire nostalgique d'un passé glorieux. Elles existent encore, vivantes et d'actualité. Elles survivent dans des poches perdues tant en Inde qu'en Asie du Sud-Est, y compris Java. Elles ont tendance à être discrètes, silencieuses, minoritaires. Elles peuvent vivre longtemps en autarcie, sans être dérangées par les cultures expansionnistes. Leur subtilité est peut-être gage de pérennité. Leur plus grande force réside dans leur beauté.

Elles se portent plus ou moins bien selon les régions, plus ou moins hybridées avec des cultures locales ou importées. Elles sont menacées en plusieurs endroits, ce qui n'est pas un fait nouveau.

Le gamelan reflète bien tout cela : c'est une musique difficilement transportable, elle ne peut être exportée hors de son contexte culturel. Il se combine mal avec les autres musiques. Son importance dans l'étude des musiques du monde est limitée.

 

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